29 Avril 2020
L’équipe britannique Sky, fondé en 2010 et qui existe encore aujourd'hui au sein du peloton cycliste sous le nom Inéos, a gagné, durant ces neufs ans d’existence, sept Tour de France. Dans cet article, nous allons seulement nous intéresser à la période qui court de 2012 à 2019 pour voir si leur ultra domination de la course a tué le spectacle. Nous ne traiterons pas des années sportives 2010 et 2011 car elles constituent seulement le rodage de l’équipe et il ne serait pas fondé d’en parler ici. Le but de cet article est de comprendre comment la Sky est devenue invincible en nous attachant particulièrement sur les spécificités de cette domination et sur le cruel manque d'adversaire
Une domination claire et nette.
Le premier fait que l’on est forcé de constater est qu’il y a bel et bien une domination. En effet, la Sky n’a laissé échapper qu’un seul Tour, en 2014 car leur leader, Froome, avait dû abandonner à la suite d’une chute. A chaque fois que leur leader a fini le Tour, la Sky est rentré avec le maillot jaune, synonyme de victoire finale. A cela, les plus puristes d’entre nous pourraient dire que l’équipe britannique n’entre que dans la lignée des grandes équipes comme l’équipe « Renault_Gitane » (qui a gagné 6 Tour de France en sept ans d’existence durant les années 1980) ou encore l’« U.S Postal » (qui a gagné 7 tour de France en 8 ans durant les années 2000) .
Si on compare les résultats, la Sky ne fait donc partie que d’une grosse équipe comme il y en a déjà eu auparavant. Cependant, il faut souligner le fait que l’ « U.S Postal » n’a reposé que sur un seul coureur : Lance Armstrong tandis que la Sky en 9 ans d’exercice, a fait gagner le Tour à quatre de ses coureurs qui sont, dans l’ordre, Wiggins, Froome, Thomas et Bernal. Cela prouve l’homogénéité du groupe Sky et leur capacité de se renouveler au sein même de leur effectif ce que n’ont pas été capable de faire ces illustres prédécesseurs.
La domination de la Sky est donc une évidence mais on va voir qu’elle n’est pas du tout du a de la chance ou au hasard mais à un travail bien réfléchi et à des choix stratégiques innovants.
Une domination monétaire et technologique.
Dès son arrivée dans le peloton professionnel, la Sky a bouleversé les codes avec sa masse salariale et ses moyens colossaux. En effet, les chiffres du Tour de France 2019 nous montrent que la Sky possède un budget de 40 millions tandis que la moyenne des 20 plus grandes équipes de cycliste tourne autour de 17 millions[i]. Or cet écart était encore plus élevé en 2010 ce qui a permis à l’équipe britannique de recruter d’excellents coureurs malgré son amateurisme dans le sport. En plus de ça la Sky possédait déjà une base de coureurs anglais via son passé d’équipe de vélo sur piste. Cet argent a directement admis l’équipe parmi celle du gratin cycliste en seulement deux ans. Cet argent a aussi été massivement investi dans la recherche et dans les sciences du sport. Les exemples de ces avancées technologiques, comme l’utilisation d’un plateau ovale[ii], peuvent paraitre minime mais prouvent la volonté perfectionniste de l’équipe. A cela s’ajoute une optimisation des entrainements avec notamment la normalisation des stages en altitude[iii] pour toute l’équipe afin d’avoir le fameux « pic de forme » exactement durant le tour de France. Le perfectionnement va tellement loin que les coureurs de l’équipe britannique vont jusqu’à prendre des médicaments comme de la Ventoline jusqu’au seuil autorisé. Cela avait d’ailleurs crée la polémique car on avait accusé l’équipe de dopage alors qu’elle ne jouait en réalité qu’avec la réglementation et que ce qu’elle faisait été parfaitement légale[iv]. Un autre aspect de cette optimisation c’est la récupération en fin de course. En effet avant l’arrivée de la Sky, lorsque les coureurs gagnaient une étape, ils passaient leur temps à accorder des interviews et ce permettaient un certain relâchement, non sans penser au lendemain tout de même. Mais cet écart de conduite pouvait causer des défaillances lors des étapes suivantes. Tandis que dès la Sky est arrivée, ils ont mis tout un protocole de récupération à la fin de chaque étape : les cyclistes ne parlent pas ou très peu aux journalistes et font du « home trainer »(= appareil fixe permettant de faire du vélo fixe) directement après être arrivé afin d’éliminer les toxines. Ensuite, ils rentrent dans leur hôtel, sans célébrer, et pensent déjà au lendemain.
Une domination stratégique.
La domination de la Sky se fait aussi sur le plan stratégique. En effet l’équipe britannique a mis en place, dès 2012, une stratégie qui a ensuite payé lors de tous ces grands tours. La stratégie de la Sky repose sur des coureurs comme Wiggins, Froome ou encore Thomas, c’est-à-dire des coureurs très complet capable de gagner les contre la montre. En effet, dans les Tour de France gagnés par la Sky, leurs leaders ne gagnaient pas tout le temps le Tour sur les étapes des montagnes mais au contraire sur les contre-la-montre (épreuve individuelle) ou sur les étapes de plaine lors des bordures. Chez Sky, c’est la régularité qui compte : le but est donc de grapiller le plus de secondes possible sur des étapes anodines et de préserver leur avance en montagne grâce à une équipe beaucoup plus forte que la moyenne. Toute attaque ou initiative personnelle n’existe pas et le respect du leader prévaut toujours. Les oreillettes (qui permettent au directeur sportif de donner les instructions aux coureurs) sont très utilisées par la Sky et notamment par Froome qui passe son temps à demander quoi faire lorsqu’un adversaire attaque[v](vidéo de 2012 ou Froome alors coéquipier avait dû attendre son leader Wiggins alors qu’il semblait meilleur). Et c’est sans doute cela fait perdre l’intérêt du Tour car les Sky prennent de l’avance dès la première semaine pour ensuite la préserver. Si personne ne les attaque, eux non plus n’attaque pas et c’est ainsi que l’on se retrouve avec des courses vides, sans aucun sursaut. Mis à part en 2012,2013 et 2016, l’écart entre le leader de la Sky et le deuxième au général est de moins de 2 minutes. Cela prouve bien que la Sky contrôle la course puisqu’à chaque fois c’est le même procédé qui est mis en place. Avec un contrôle de la première semaine ou le leader se classe bien, ensuite prise du maillot jaune lors de la deuxième semaine, souvent sur la première étape de montagne et troisième semaine, verrouillage de la course. A cela il faut ajouter la prise de temps, par rapport aux autres leaders, lors des chronos individuels.
En revanche ce procédé n’est pas nouveau : l’équipe « Banesto » vainqueur des Tour de France de 1991 à 1995 avec Miguel Indurain a usé de la même technique en privilégiant un leader capable d’être polyvalent.
Dans sa domination, la Sky ne fait donc qu’appliquer des préceptes déjà vu dans les années auparavant en ajoutant un budget titanesque et une optimisation sans égale. Mais on ne peut pas en conclure que c’est uniquement la faute de la Sky si le Tour de France a perdu de l’intérêt mais c’est dû en partie aussi à cause de la faible concurrence.
Aucun véritable adversaire
Bernard Hinault avait Fignon et Zoetemelk, Armstrong avait Pantani et Ullrich. Que ce soit donc Hinault ou Armstrong, les deux ont eu un ou des rivaux à la hauteur de leur talent capable de leur enlever des Tour de France au forceps. Mais quid de la Sky ? Alors qu’on pensait que Quintana pouvait être un concurrent sérieux pour titiller Froome de 2013 à 2016, le Colombien n’a jamais semblé à la hauteur de Froome et ne l’a jamais vraiment inquiété. Romain Bardet ? Son niveau au contre de la montre est trop faible pour réellement prétendre à la victoire finale. Thibault Pinot ? Son manque de préparation et sa malchance l’empêche d’être un candidat sérieux à la victoire finale.
En clair l’hégémonie Sky ne s’explique pas uniquement par la puissance de la formation britannique mais aussi par la faiblesse des équipes adverses. On reproche souvent à la Sky d’avoir une équipe plus forte que toutes les autres, pourtant, sur le papier, la «Movistar » ou la « Astana » (d’autres équipes cyclistes) n’avaient rien à envier car elles possédaient des coureurs très solides à l'instar de Quintana (Movistar) ou Nibali (Astana). C’est plus leur manque de tactique et de stratégie claire qui a plombé ces équipes plus que la prétendue invincibilité de la Sky. La faiblesse des équipes adverses est d’autant plus flagrante lorsque l’on voit que des coureurs, qui étaient coéquipiers de Froome, changent d’équipe pour devenir leader dans les équipes adverses. Ils y apportent la rigueur que la Sky leur a enseigné et deviennent des rivaux aussi dangereux, si ce n’est plus que les autres leaders d’équipe.
En outre, il ne faut pas négliger le fait que, ces dernières années, on a vu apparaître un phénomène qui, auparavant n’existait pas. En effet, depuis quelques années, les équipes ne sont plus préoccupés que par le maillot jaune mais cherche désespérément à obtenir la place d’honneur pour des raisons avant tout financière (le top 10 final du Tour gagne de l’argent et une couverture médiatique non négligeable pour les sponsors). De fait, à l’inverse des autres années ou tous les coureurs étaient, en quelque sorte, contre le maillot jaune, ce qui n’est plus le cas à présent. Cela facilite d’autant plus la tâche des Sky qui n’ont donc plus à se prémunir de tout le monde mais seulement du second du classement général. Ce manque d’adversité fait qu’aujourd’hui, les coureurs sont, en général plus dans la réserve car ils essayent de préserver leur place d’honneur et ne tentent plus de coup de poker tels des attaques à 100km de l’arrivée ou des coups de bordure. Aujourd’hui c’est plus l’attentisme qui prime du fait, selon certains, des oreillettes qui tuent le suspense et empêche l’initiative et la prise de risque.
On peut aussi critiquer le manque de rigueur de certaines équipes qui négligent, bien plus que la Sky, les aspects scientifiques et la concentration nécessaire à l’exercice de ce sport à haut niveau. En effet jusqu’à encore très récemment certaines équipes françaises professionnelle comme la FDJ organisait des barbecues et apéro après les entraînements. Ces écarts peuvent sembler sans importance voire ridicule mais ils témoignent d’un écart entre l’optimisation jusqu’au-boutiste des Sky et le coté familial et et relâché de la FDJ.
En conclusion ce n’est donc pas la domination Sky qui tue le suspens habituel du Tour mais plus le climat général ou l’attentisme lié à des raisons économiques qui annihilent les prises de risque et promeut un cyclisme rigoureux et méthodique. On peut accuser la Sky d’avoir fait, peut-être, disparaitre ce grain de folie mais on ne peut lui enlever le fait qu’elle a apporté beaucoup de professionnalisme au cyclisme et a permis d’améliorer en général les performances sportives des coureurs. De plus, il est fréquent, dans les sports de haut niveau, que lorsque la domination est trop forte les gens s’en lassent et c’est ce qu’il se passe, à mon humble avis, en ce moment vis-à-vis de la Sky. Je pense cependant que cette hégémonie va bientôt cesser car l’écart entre la Sky et les autres formations tend à se réduire et qu’il va forcément falloir à un moment ou à un autre, se réinventer. Enfin le Tour de France est le troisième événement sportif le plus regardé au monde et on sait, grâce au passé, que toute domination à ses failles et qu’il suffit d’une chute, d’une crevaison ou d’une défaillance pour tout faire basculer et qu’en 21 jours, il peut se passer de nombreuses choses que ni la technologie ni les plus fins stratèges ne peuvent prévoir. Le Tour de France est par ailleurs aussi l’occasion de voir du paysage et le classement général n’est pas le seul qui compte. Le classement du meilleur grimpeur, meilleur sprinteur ou encore meilleur jeune sont autant d’occasion de regarder le Tour de France et Sky ou pas Sky, le Tour de France reste et restera un événement sportif digne de l’intérêt de tous !